Un petit matin d’avril, quelque part dans les forêts du plateau de la Chouette. Ils sont là, frontales vissées sur le front, sacs à dos, à peine réveillés, mais déjà électrisés. Il est 3 heures. Un bus les attend. Destination inconnue. Ils ne savent rien du tracé, seulement qu’ils auront à parcourir 65 kilomètres en duo, à la boussole, enchaînant montées, descentes et dénivelés vertigineux. La Lapone, c’est son nom. Une épreuve aussi secrète qu’exigeante, organisée par le club Dijon Triathlon. Une aventure parmi tant d’autres qui témoignent de l’énergie débordante de ce club bourguignon.
Avec ses 220 adhérents, Dijon Triathlon ne se contente pas de former des athlètes ; il façonne une communauté. Une cinquantaine d’entre eux ont troqué leur trifonction contre des chaussures de trail, et c’est ainsi qu’est née une vraie section dédiée. Mais que ce soit sur des sentiers escarpés, à vélo, en duo, pour le Bike and Run d’automne, ou dans l’effervescence du Triathlon international de Dijon, qui, l’année passée, a battu tous les records avec plus de 2 200 participants, le club incarne une autre ambition. Celle de montrer qu’un grand événement peut rimer avec écoresponsabilité.
Avant que les courses ne deviennent vertes, il a fallu plonger les mains dans les poubelles. C’était il y a une dizaine d’années. À une époque, où lors du Triathlon international de Dijon, les épluchures de bananes étaient jetées avec les flyers, les bouteilles d’eau et les emballages de barres énergétiques.
“On a commencé par là”, raconte Christian Steinberg, un référent développement durable du club, “le tri, ça paraît basique aujourd’hui, mais à l’époque, c’était un petit combat de tous les instants”. Car dans le tumulte d’un week-end de compétition, la gestion des déchets est souvent la dernière préoccupation des participants. Pas celle du club dijonnais.
L’idée est simple, mais ambitieuse : instaurer le tri sélectif sur tous les postes de la manifestation. Buvette, ravitaillement, site de départ et d’arrivée… chaque zone se voit équiper de poubelles identifiées, et les bénévoles, formés à expliquer (ou rappeler) que la peau de banane ne va pas dans la poubelle “papier”.
Mais le changement ne se fait pas sans heurts. “Honnêtement, au début, c’était compliqué. On se faisait engueuler par des triathlètes qui, à peine la ligne franchie, jetaient leur bouteille dans la mauvaise poubelle. Quand on leur faisait la remarque, on passait pour les rabat-joie de service”. Deux membres du club vont incarner cette rigueur écolo naissante. Toujours en train de reclassifier les déchets mal jetés, à genoux dans les sacs, bouteille dans une main, peau de banane dans l’autre.
Très vite, tout le monde leur trouve un surnom : “Monsieur Poubelle”. “On a passé trois jours entiers à trier. Trois jours à reprendre les sacs, à repêcher, à réexpliquer. Mais on l’a fait parce qu’on y croyait”. Et ils avaient raison. Petit à petit, le message passe. Le public comprend, les athlètes s’adaptent.
Mais il a fallu s’armer de patience. Pendant plusieurs années, les “Monsieur Poubelle” du club ont encaissé. Moqueries, remarques agacées, regards condescendants : leur engagement écolo ne faisait pas toujours l’unanimité. “On s’en est pris plein la figure, vraiment. Mais on a tenu bon. Parce qu’on savait que c’était le bon chemin”.
Et aujourd’hui, dix ans plus tard, la transformation est frappante. Ce qui relevait autrefois du militantisme marginal est devenu une évidence collective. “Le changement d’attitude, c’est incroyable. Maintenant, les gens s’excusent quand ils se trompent de poubelle”. Même après 140 kilomètres dans les jambes, les triathlètes épuisés, l’esprit embrumé, prennent le temps de faire attention. “Le fait qu’ils se sentent concernés, qu’ils aient le réflexe de s’excuser, ça prouve que la sensibilisation a porté ses fruits”, se réjouit Christian Steinberg.
Si le tri sélectif fut la première posée dans la démarche écoresponsable du club, le Trail de la Chouette en a été, sans conteste, le manifeste. “On s’est dit que si on lançait un trail, il devait être écoresponsable. Ce n’était pas une option, c’était le point de départ”, explique Christian Steinberg.
Alors, très tôt, les décisions fortes ont été prises. La première ? Le zéro gobelet. Pas de plastique jetable au ravitaillement, ni à l’arrivée. “Vous voulez boire ? Venez avec votre gobelet. Sinon, buvez dans vos mains !”. La première année, la surprise a été grande. Certains ont râlé, d’autres ont improvisé. Alors dès l’édition suivante, le club a investi : des écocups pliables, légères, réutilisables, offertes à chaque coureur. “On leur disait : ce gobelet, il n’est pas pour nous. Il est pour vous. Gardez-le, servez-vous-en à toutes vos courses”.
Le deuxième pilier : le ravitaillement local et responsable. Fini les barres énergétiques sous plastique et les produits industriels. À la place : du fromage comtois, généreusement offerte par la fromagerie du coin. Des cakes et des gâteaux faits maison par les bénévoles. Et un buffet qui, selon les participants eux-mêmes, “reste l’un des meilleurs souvenirs de la course”.
Mais l’effort ne s’arrête pas à ce qu’on mange ou boit. L’environnement visuel, lui aussi, est au cœur des préoccupations. Très vite, le club se rend compte que la rubalise plastique, cette fameuse bande rouge et blanche qui marque les parcours, est un non-sens écologique. Alors, ils innovent : avec l’aide d’agriculteurs locaux, ils récupèrent les ficelles des bottes de foin. Ils les découpent, y ajoutent des petits écussons réfléchissants, et les transforment en balises réutilisables. Des milliers de pièces fabriquées à la main, au fil des réunions de préparation. Et aujourd’hui, ces rubalises sont mutualisées entre clubs et événements locaux.
Côté hydratation, même logique : adieu les bouteilles plastiques. Place aux jerricanes remplis d’eau, réparties sur les zones de ravitaillement. Les coureurs se servent eux-mêmes, avec leur propre matériel : camelbacks, gourdes, flasques ou éco-cups.
À Dijon Triathlon, même les récompenses racontent une histoire. Pas de coupes clinquantes importées à la chaîne, ni de t-shirts promotionnels imprimés à l’autre bout du monde. Chaque année, les trophées du Trail de la Chouette sont conçus en partenariat avec un lycée technique local. Cette collaboration donne naissance à des chouettes en bois stylisées, imaginées et façonnées par les élèves, pièce par pièce. “Ils y mettent tout leur cœur, toute leur créativité. Le design change à chaque édition”.
Et comme un beau souvenir ne se résume pas une médaille, chaque participant repart aussi avec un lot. Grâce au même lycée, ce sont plus de 300 à 400 petits pots de plantes aromatiques ou ornementales qui sont produits chaque année, puis offerts à l’arrivée.
Autre partenaire incontournable : une brasserie locale, qui fournit, à prix réduit, les bières offertes aux coureurs. Un clin d’œil à la convivialité post-course, mais toujours inscrit dans une démarche de circuits courts. Et parfois, en complément, ce sont des objets fabriqués par des enfants, dans le cadre de projets pédagogiques, qui complètent les récompenses.
C’est par la section trail que tout a commencé. Un terrain plus souple où les valeurs d’efforts se conjuguent plus naturellement avec celles de l’environnement. Là, l’écogeste n’est pas un obstacle, mais un réflexe. Et puisque le Dijon Triathlon avait réussi à instaurer des pratiques responsables dans les sous-bois et les sentiers escarpés, une question s’est imposée : “Pourquoi pas au triathlon ?”.
Mais voilà, transposer un modèle vertueux d’un sport à l’autre ne se fait pas en un claquement de doigts. Le triathlon, avec son enchaînement millimétré de trois disciplines, sa logistique tentaculaire, son obsession du chrono, ne se laisse pas convertir si facilement.
La première pierre avait déjà été posée avec le tri sélectif. Puis inspiré par l’expérience du trail, le club s’est attaqué au gobelet plastique jetable. “Sur le trail, c’est simple : tu viens avec ton gobelet réutilisable, ou on t’en fournit un au départ. Tout le monde joue le jeu. Mais en triathlon…”. C’est une autre histoire.
“Le triathlète, il pense performance. Il veut être léger, efficace, ne rien porter de superflu. Alors lui dire “emmène ton gobelet”, ça ne passe pas”. Pourtant, petit à petit, le gobelet réutilisable a fini par faire son trou, du moins sur les portions à pied. L’habitude s’est installée. Mais le vrai casse-tête, c’est le vélo. “Là, on bloque encore”. Les ravitaillements liquides à vélo sont un nœud logistique, technique et mental. “On donne des bouteilles d’eau, les plus petites possible. Et pourtant, à chaque course, je vois les athlètes en prendre deux : une pour se rincer la tête, une pour boire. Et souvent, les deux finissent à moitié pleines au bord de la route…”
Des pistes ont été explorées. Supprimer les ravitaillements sur les parcours de moins de 80 kilomètres ? Refusé par la ligue : un arrêt ravitaillement est obligatoire. Proposer un système de consigne de bidons ? Trop complexe pour l’instant. Installer des rampes à eau ? “Les triathlètes nous disent : impossible de s’arrêter, on joue la montre”.
Car voilà le cœur du problème : comment concilier exigence sportive et transition écologique ? Comment convaincre sans contraindre ? “Certains triathlètes viennent me voir après les réunions : ‘Christian, je comprends ton truc, mais si je perds 20 secondes à un ravito, je sors du top 20’. Et je les comprends”, confie Christian Steinberg.
Alors le club teste et dialogue. Une idée germe : segmenter les pratiques. “Peut-être qu’on peut avoir un ravitaillement “chrono” et un ravitaillement “zéro plastique”, que chacun choisisse selon son niveau d’engagement ou d’ambition”. En revanche, ce que le Dijon Triathlon refuse : c’est de revenir en arrière. Ce qui a été gagné en responsabilité ne se perdra pas.
Quand on côtoie le milieu des athlètes, on se rend vite compte que chaque sportif est aussi un collectionneur. Entre les t-shirts techniques, les shorts, les chaussures ou encore les roues de vélo soigneusement rangés dans un coin. C’est sur ce constat que Dijon Triathlon a lancé, en partenariat avec Second Relais, une initiative qui combine bon sens, écologie et solidarité : la collecte et la seconde vie du matériel sportif. “On s’est dit, c’est dommage, tous ces équipements qui dorment dans les placards alors qu’ils pourraient encore servir”.
Alors à chaque retrait des dossards, que ce soit pour le trail ou le triathlon, un stand est installé. Les athlètes sont invités à apporter tout ce dont ils ne se servent plus. Ce qui arrive ensuite est une chaîne de tri et de redistribution bien rodée :
Résultat : rien ne se perd et tout le monde y gagne. “Franchement, je n’imaginais pas que ça marcherait aussi bien. Les gens sont contents de se débarrasser de trucs qu’ils n’arrivaient pas à jeter, mais qu’ils ne veulent pas non plus garder. Parce qu’ils savent que ça va servir à d’autres”.
Quand on regarde en arrière, on mesure le chemin parcouru. Il y a dix ans, le tri sélectif mis en place par le Dijon Triathlon faisait rire ou agacer. Aujourd’hui, il fait partie intégrante des pratiques du club durant les événements, comme les ravitaillements ou les podiums. Les changements d’habitudes opérés au sein du club démontrent une transition réussie, lente, mais solide, portée par une conviction simple : le sport peut et doit être un moteur du respect de l’environnement.
Et la dynamique ne faiblit pas. Loin de se reposer sur ces réussites, l’équipe de Dijon Triathlon regarde déjà plus loin. “Le prochain objectif, c’est d’inventer des actions qui lient encore plus étroitement le sport et la préservation de notre cadre de vie”. Parmi les projets en tête : le plogging à vélo, version mobile du ramassage de déchets déjà pratiqué autour des trails. Et surtout, le rêve du zéro plastique, obsession revendiquée.
La route est encore longue, mais les étapes déjà franchies donnent confiance…