Parmi les flots tranquilles de la baie de Quiberon, un club historique trace sa route, résolument tournée vers un horizon plus vert. « On pensait juste faire notre travail correctement. En fait, on menait déjà des actions RSO sans même s’en rendre compte. » C’est avec simplicité que Servane Moreau, directrice adjointe du Yacht Club de Carnac, évoque les débuts d’une démarche environnementale aujourd’hui ancrée dans l’ADN du club.
Fondé en 1960, le Yacht Club de Carnac n’est pas un petit port de plaisance tranquille. Avec ses 450 unités nautiques et 30 000 passages par an, il se classe troisième école de voile de France. Loin de se reposer sur ses lauriers, le club multiplie les activités : voile scolaire, sportives, régates, cours particuliers, location, mais aussi partenariats avec des prestataires de plongée ou de natation. Autant d’activités portées par une même conviction : concilier sport, pédagogie et engagement écologique.
Le déclic ? Le covid. “Il a eu du mauvais, mais aussi du bon”, raconte Servane Moreau. C’est pendant les confinements, alors que les activités étaient suspendues, que les clubs de la région ont commencé à échanger sur leurs pratiques. De cette introspection est née une envie d’agir concrètement.
La première mesure fut radicale : la fermeture des douches en été. “Les enfants, sous la douche, ils y restent une éternité. Donc l’impact est énorme sur la consommation d’eau. Donc, on a fermé les douches tout l’été. L’hiver, on les garde pour qu’ils puissent se réchauffer”, souligne-t-elle. Puis l’effet domino a suivi.
Depuis 2024, le club adhère au dispositif “Régate propre” porté par la Fédération française de voile. L’objectif est de respecter les 15 engagements du sport pour le développement durable. Cela va de la gestion de l’eau à l’alimentation, en passant par la mobilité. “On essaie de cocher toutes les cases. On l’applique déjà sur les régates, mais aussi à l’école de voile”.
Les mesures concrètes s’enchaînent : un seul rinçage des bateaux, le dernier jour de compétition ; remplacement des rinçages systématiques par des bassines avec éponges ; utilisation de gourdes obligatoires, sac et écocups réutilisables, et même des assiettes faites en matériaux recyclés.
Le club va plus loin avec un réseau de recyclage local, en partenariat avec des acteurs du territoire et des entreprises engagées dans l’économie circulaire. Parmi les dispositifs mis en place, un bac de récupération des voiles usagées est mis à disposition des pratiquants. “On travaille avec une voilerie locale qui vient récupérer les voiles abîmées. Plutôt que de les jeter, elles sont réutilisées pour fabriquer des sacs notamment”, explique Servane Moreau. Ces collaborations permettent non seulement de donner une seconde vie à un matériau très spécifique, mais aussi de soutenir l’artisanat local.
Autre geste fort : un bac de collecte pour les combinaisons néoprène usagées. En lien avec la marque Soöruz, basée à La Rochelle, ces combinaisons sont envoyées en fin de saison pour être recyclées. “Elles sont broyées puis transformées en billes, qui servent ensuite à fabriquer des poufs ou des porte-clés. Ce qui partait à la poubelle devient un objet du quotidien”. Un moyen de réduire l’impact environnemental d’un équipement souvent très polluant à produire et difficile à valoriser.
Enfin, le dernier bac présent au Yacht club de Carnac est le bac Ecologic, qui est une sorte de point d’échange libre pour les pratiquants. “Les gens y déposent ce qu’ils n’utilisent plus : bouts, poulies, gants, chaussures, sangles, combis… Et d’autres se servent”. Une approche inspirée du troc ou des boîtes à livres, adaptée à l’univers nautique, qui favorise à la fois la solidarité entre usagers et l’allongement de la durée de vie des équipements. Les objets ne trouvant pas preneurs sont ensuite envoyés à Ecologic qui les remet dans les bonnes filières de recyclage.
Ce tissu de collaborations tisse un modèle local d’économie circulaire appliqué au nautisme. « Ce n’est pas juste notre club qui bouge, c’est tout un écosystème », souligne Servane Moreau.
Ainsi, la philosophie du club repose véritablement sur le bon sens : réparer plutôt qu’acheter. “On refite nos bateaux plutôt que de les remplacer. On change les voiles, les trampolines… mais pas le bateau entier”.
Dans un secteur où l’équipement peut coûter cher et peser sur l’environnement, le maître mot du club est simple : mutualiser. “On mutualise tout : les encadrants, les bateaux, les transports, les arbitres. Pour chaque régate, je crée un groupe WhatsApp pour organiser le covoiturage”. Cette logique du partage dépasse même les frontières du club : “avec les clubs voisins, on se prête du matériel : des bouées, des bateaux… plutôt que d’acheter du neuf”.
Chaque année, le Yacht club de Carnac organise une journée de formation pour ses bénévoles, dont la moyenne d’âge avoisine les 70 ans. Les moniteurs aussi sont formés à ralentir la cadence sur les bateaux à moteur pour limiter la consommation. “On rabâche, mais c’est nécessaire pour que ça rentre”.
La sensibilisation ne s’arrête pas aux adultes. Les enfants de l’école de sport sont eux aussi éduqués aux bons réflexes dès leur plus jeune âge. “On veut que ça devienne naturel pour eux”.
L’avenir du club passe aussi par une transformation de ses infrastructures. Le bâtiment actuel, vieillissant, doit être rénové par la mairie. Le projet prévoit une orientation écoresponsable, avec récupération d’eau de pluie et chauffage basé sur l’eau de mer. “Mais on est sur un site classé. Donc, on ne peut pas faire tout ce qu’on veut, comme installer certains équipements. C’est un défi”.
Le club ne mène pas sa transition seul. Depuis deux ans, la Fédération française de voile accélère son engagement. Le Yacht club de Carnac est même club pilote pour tester la dématérialisation des passeports de voile, ces livrets en fin de stage sont souvent perdus par les enfants et doivent être réimprimés chaque année.
“On voit que ça bouge. La fédé a recruté une personne dédiée à ces sujets , et maintenant, on retrouve régulièrement des infos sur ces thèmes dans leurs newsletters”, se réjouit Servane Moreau.
À l’heure où le nautisme soufre de son impact environnemental avec des bateaux en matériaux composites, les carburants, les transports, le Yacht club de Carnac veut faire mentir ces faits. “On croit que la voile, c’est propre, mais ce n’est pas forcément le cas. Donc, on a une responsabilité”, conclut la directrice adjointe.
Dans ce coin de Bretagne, une souffle nouveau s’est levé. Et c’est peut-être en regardant vers l’océan que l’on comprend mieux l’urgence de le préserver. À Carnac, en tout cas, on ne se contente plus de naviguer avec le vent : on choisit de le faire avec conscience.